Faire le choix d’exercer à la campagne ne se prend pas à la légère. Cette décision ne doit pas être prise par défaut ou uniquement pour fuir la ville. Car si exercer à la campagne présente de réels avantages, comme la qualité de l’exercice, il faut aussi en accepter les contraintes qui y sont liées. Avec, entre autres, des problématiques de distance, d’isolement par rapport aux ressources médicales disponibles, d’incertitude sur l’avenir, de revenus potentiellement moins élevés… Les deux témoignages ci-dessous montrent, en creux, une réalité : les infirmiers libéraux font partie des derniers professionnels de santé vraiment présents dans ces campagnes à assurer un lien quotidien avec les patients qui en ont besoins. Un maillage précieux qu’il est utile de rappeler et de valoriser.
« La relation de confiance est réelle »
Virginie, IDEL depuis 2 ans dans l’Aveyron
« Je suis diplômée depuis 2011 et j’ai toujours exercé à domicile. Les premières années, j’ai travaillé dans un centre de soins à domicile, une structure où j’avais effectué mon stage de deuxième année d’études. L’entreprise dispose d’une vingtaine de centres de soins dans l’Aveyron, en milieu rural. J’ai postulé à un poste dans cette structure car la campagne me plaît davantage que la vielle. J’y suis restée cinq ans, avant de devenir infirmière coordinatrice puis de m’installer en libéral, il y a deux ans. J’ai intégré un cabinet de huit infirmiers. Nous organisons cinq tournées par jour et effectuons au minimum 130 km dans la journée.
J’identifie plusieurs avantages à exercer en milieu rural. J’apprécie tout d’abord le côté familial de ce lieu d’exercice. Généralement, en tant qu’infirmières, nous sommes attendues par les patients, nous faisons partie de la famille. Les patients sont plus sympathiques et détendus. Dans le territoire où j’exerce, nous sommes en contact avec une seule pharmacie et deux médecins traitants. Les échanges se passent vraiment bien une relation de confiance et de proximité s’est nouée entre nous, ce qui facilite vraiment l’exercice lorsqu’on travaille avec des médecins qui sont dans le même état d’esprit, cela se passe très bien.
Il peut en revanche y avoir quelques inconvénients. Par exemple, comme nous sommes éloignés des hôpitaux, les soirs, les week-ends, ou lorsque le médecin est en vacances, nous pouvons nous sentir un peu seuls dans la prise en charge des patients. L’idéal est de pouvoir anticiper certaines situations, notamment lorsqu’il s’agit de prises en charge de la fin de vie. Mais ce n’est pas toujours possible, nous devons alors appeler les pompiers ou le Samu. Autre source d’inquiétude : les deux médecins vont, dans un avenir pas si lointain, partir en retraite. Ils ont des difficultés à trouver des remplaçants car les jeunes médecins n’ont pas envie d’exercer seuls. Un projet de maison médicale est en discussion avec les pharmaciens. Pour le moment, cela n’avance pas beaucoup mais je pense que nous allons nous orienter dans ce sens ».
« Exercer à la campagne doit être réfléchi »
André, IDEL depuis 37 ans dans l’Ardèche
« Personnellement, je ne vois que des avantages à l’exercice libéral à la campagne, un choix que j’ai fait il y a 37ans. Néanmoins, exercer à la campagne doit être réfléchi. Il ne faut pas penser venir s’installer en milieu rural simplement parce qu’on ne supporte plus la ville. La campagne, c’est une autre façon de penser, ce n’est pas les mêmes mentalités. Les patients ont besoins qu’on s’occupe d’eux ; il faut avoir l’envie de s’y intégrer. Je conseille aux jeunes infirmiers de faire un stage en milieu rural avant de prendre leur décision afin de se faire une idée des conditions de travail. Généralement, nous sommes éloignés de tout. L’amplitude horaire de travail est importante car de nombreux kilomètres peuvent nous séparer d’un patient à un autre. Nous conduisons sur des petites routes, avec de nombreux virages. Mais l’avantage, c’est l’absence d’embouteillages. Dans notre cabinet, pour gérer les distances, nous avons décidé d’exercer à quatre. Cela diminue nos revenus certes, mais ce n’et pas notre priorité, qui est de soigner les patients. Dans les villages, la pratique est également très sécuritaire. Nous n’avons pas le souci de devoir fermer la voiture à clef entre chaque patient. Des patients qui, de surcroît, sont rarement agressifs envers nous. De plus, entre cabinets, tout le monde se respecte. La confraternité est réelle. D’ailleurs lorsque des infirmières libérales m’ont contacté pour m’informer qu’elles s’installaient sur mon territoire d’exercice, à quelques kilomètres, je les ai moi-même présentées à mes patients pour les informer qu’elles allaient prendre le relais. Je savais que mon cabinet allait perdre du chiffre d’affaires, mais leur arrivée nous a aussi permis de réduire les trajets. Il y a de la place pour tout le monde. Il ne faut néanmoins pas vouloir faire fortune car nous ne faisons pas beaucoup de soins. Sur la journée, nous prenons en charge une trentaine de patients. En termes de coordination, nous avons de très bons rapports avec les médecins. Cependant, l’avenir peut poser question car ils ont des difficultés à faire venir exercer les jeunes médecins. Nous ne travaillons qu’avec une seule pharmacie qui, elle, assure le lien avec le laboratoire de biologie médicale. Le seul vrai problème que j’identifie concerne la gestion de l’urgence. Le Samu et les pompiers sont à 30 km. Nous faisons donc tout pour éviter les urgences et essayons d’’anticiper au maximum ».
Que vous exerciez en Aveyron ou en Ardèche, le constat est le même.
Les avantages sont : l’absence d’embouteillages, de la place pour se garer, une insécurité minimale, une patientèle moins nombreuse donc un rythme moins soutenu, le rôle social des infirmiers libéraux vis-à-vis des patients et des rapports confraternels avec les autres professionnels de santé.
Les inconvénients sont : le nombre de kilomètres à effectuer entre deux patients et la répercussion sur la journée, un mode d’exercice qui peut être perçu comme isolé, un chiffre d’affaires qui peut être moins conséquent, la gestion des urgences notamment les soirs et week-ends, l’avenir des installations de médecins, dont dépendent les IDEL pour la prescription, la coordination avec les autres professionnels de santé à anticiper afin de gérer les urgences.